Le Pech Merle

Centre de la préhistoire du Pech Merle, Cabrerets, 2013
Photographie couleur réalisée à la chambre.
* Edition photo: 60 X 45 cm
* Affiche: 300 x 400 cm
sérigraphie couleur en 6 parties

Partenariat: DRAC Midi-Pyrénées Service régional de l’archéologie , Mairie de Cabrerets (Lot)
Collection Frac Bretagne

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

PECH MERLE –MATINEE 1

 

Ce matin j’ai rendez vous avec Jean Luc, le guide du site préhistorique du Pech Merle à Cabrerets dans le Lot. Il doit ouvrir la porte de la grotte, je vais entrer avec lui pour faire des photographies. Je lui explique ce que je cherche, je lui dis que j’ai une image en tête et qui s’est construite sur plusieurs temps, en couches successives, jusqu'à devenir si précise qu‘elle en est aujourd’hui quasi obsessionnelle. Je lui raconte que la façon dont les blocs de pierres sont enchevêtrés dans la cavité centrale (La salle de la frise noire) ressemble à la gravure de Caspar David Friedrich (étude pour le tableau spatziergang in der abbendammerung). Je lui dis que dans mon esprit un autre tableau s’est superposé à celui ci, celui du Voyageur contemplant une mer de nuages. Dans ce tableau également de Friedrich, il y a un personnage sur des rochers au centre de l’image qui contemple un paysage à perte de vue. Ce personnage ressemble aussi à Gustave Courbet dans Bonjour monsieur Courbet, il est également un berger comme dans les peintures de Poussin. Il tient le bâton de l’homme qui marche au travers de l’espace et du temps comme Cadere porte le sien. J’explique à Jean Luc que pour réaliser cette image, je vais avoir besoin d’un figurant, il accepte de jouer le jeu. Je lui dis que le bâton qu’il aura en main, sera alors comme un bâton sacré, une œuvre sculptée symbolique. Le bâton sera l’élément visuel du passage entre l’espace du visible et celui de l’invisible. Dans la grotte, ma mise en scène fera de Jean Luc le découvreur d’espace. Nous poussons la porte de l’entrée du site, nous descendons quelques marches, on ouvre et on referme dernière nous une seconde porte. Jean Luc allume les lumières pour éclairer un chemin qui s’ouvre alors devant nous, nous avançons. Quelques mètres plus loin, je suis arrêtée par la beauté de quelques petites stalagmites blanches, très lisses et rondes à leurs extrémités, qui se dressent comme des sculptures de Louise Bourgeois. Je cadre, je m’adapte au sujet. Je ne vois rien. L’humidité se fixe sur l’objectif. J’essuie, je recommence. Plus loin une cathédrale de type baroque flamboyant se dessine devant moi, les colonnes de roches calcites sont imposantes et ondulent parfois tel le drapé de la robe de Sainte Thérèse d'Avila du Bernin. Très vite, je comprend que le sujet du projet initial m’échappe, tout est beau et grandiose, comment faire pour saisir l’extraordinaire ? et ceci sans réaliser des images géologiques ou scientifiques que je connais déjà ? Je reste l’œil fixé dans l’objectif. J’essaye de comprendre ce qui se passe sous mes yeux, de trouver une position cohérente face à ce décor à double sens, où le sol et le plafond se répondent comme des jumeaux. En quelques mètres parcourus, déjà la photographie s’assujettie de la gravité, je comprends que dans cet univers sans pesanteur, les plans se construisent vraiment dans tout les sens, à l’endroit, à l’envers, en épaisseur, en profondeur. Le premier plan devient un arrière plan, le décor du fond s’impose entre les volumes géologiques et devient sujet principal. L’image cadrée devient irrationnelle. Je perds progressivement mes points de repères habituels, je sors de la construction classique de l’image, j’accepte ce bouleversement. Une nouvelle manière de regarder s’impose, je regarde au loin pour chercher à comprendre ce qui est devant, les volumes et les formes de la grotte s’accumulent et remplissent naturellement mon format. Je compose, je construis un tableau. La peinture se développe comme elle se doit, en couches successives. Je peins. Je laisse couler de l’encre de chine, en jouant avec des formes en contre jour. Je recrée à partir de la matière de la calcite des paysages vaporeux, des estampes chinoises. J’attrape la lumière et l’ombre, je dessine des volumes aux découpes tranchantes ; une amphore grecque, un masque africain, une vanité. J’y ajoute un effet de matière mouillée et luisante par le passage de la lueur entre deux stalactites. Nous avançons, l’air se raréfie, il y a beaucoup de CO2 en cette matinée de novembre, je respire avec difficulté, j’associe cette difficulté respiratoire à mon émotion. Les centaines de mètres parcourus ont conditionné et orienté ma relation avec la grotte. Je n’ai pas pensé à regarder les peintures préhistoriques qui pourtant se déploient partout autour de moi, j’ai oublié que je me trouvais dans un site historique unique. Les éclairages conçus pour les visiteurs m’offrent une source de points de vues infinis. La lumière est faible, constante, teintée de jaune et de rouge. La lueur générale de la grotte correspond presque à la vision que l’on a lorsque l’on ferme à moitié les yeux. J’emprunte une rampe en pente pour rejoindre une autre grande salle, mais avant de franchir cette nouvelle étape, je me retourne pour jeter un dernier regard . Un décor sublime s’offre à moi, de là où je suis, la distance construit un véritable dessin qui oscille entre les illustrations de Jules Verne dans le voyage au centre de la terre et celle de Victor Hugo avec les travailleurs de la mer. Dans le ventre de la terre, apparaît un univers aquatique, les stalagmites sont comme des grosses algues qui ondulent au gré des courants, plus loin la lumière artificielle découpe une sorte d’horizon, la voute de la grotte au dessus des grands rochers plats (ceux même du tableau de Friedrich) dévoile un ciel plein de constellations ; l’infini. L’ensemble semble soutenu par des sortes de colonnes ioniques recouvertes de calcite qui elles même portent un chapiteau de stalactites pointus et menaçants. Je vois très précisément l’image en miroir que je me dessinais depuis quelques mois. Jean Luc escalade les blocs de pierre, je le photographie dans ce décor, l’image est là. A Man in space, mais de quel espace s’agit il ? Il semble que tout l’univers s’est réuni autour de lui. La terre, la mer, le ciel, l’eau, la matière, la lumière, la couleur fusionnent en un seul point de vue. J’imaginais une image romantique. Je découvre une image symbolique, je m’enfonce dans la mythologie. Je suis dans l’espace, dans le temps, dans l’univers. Nous continuons dans un essoufflement permanent, je cherche à faire quelques prises de vues sans grande conviction désormais, je suis bouleversée par ce que je viens de voir. Un mouvement spatio-temporel vient de me déplacer, je sens comme une métamorphose, quelque chose d’important est en train de se jouer. Je n’ai pas de réponses. Il est 12h00, je suis dans la grotte depuis trois heures, Jean Luc doit refermer la porte, la visite est terminée, je reviendrai comme convenu le lendemain matin.

 

 

 

PECH MERLE / MATINEE 2-

 Ce matin j’ai amené Jean Louis avec moi, il apporte avec lui une chambre photographique pour fixer sur la pellicule l’image du découvreur, celle que j’ai vu se matérialiser devant moi hier. J’ai réalisé des photocopies des décors où Jean Luc posera. Au total, j’ai repéré sept lieux, sept tableaux ; Chaque tableau positionne le personnage avec son bâton dans des ambiances et des situations différentes. Nous entrons tous les trois dans la grotte. Première porte, escaliers, deuxième porte, on referme dernière nous. Lumière ; nous allons directement sur le haut de la rampe, là où le décor se dévoile dans une perspective large, pour réaliser l’image que je cherchais. En quelques minutes, nous retrouvons exactement le point de vue. Jean Luc avance sur les gros rochers, s’installe sur l’un deux et retrouve naturellement la position qu’il avait pris la veille, le pied gauche posé juste à la limite d ‘un halo lumineux au sol. L’image est parfaite. Le bâton donne au personnage une dimension intemporelle, nous sommes projetés hors du réel. Commence alors un voyage au travers les époques et les genres, simultanément, dans la réalité de la grotte, la dimension artistique et historique est vertigineuse ; Devant Jean Luc, un mammouth peint au charbon de bois, à ses pieds sur le rocher le dessin d’un bison, derrière lui, les traces d’un pied d’un enfant déposé sur le sol de la grotte il y a 25 000 ans. De l’origine du monde à nos jours, un diaporama se joue mélangeant toutes sortes d’images empruntées aux arts. Je m’abandonne complètement, laissant mon imaginaire articuler des tableaux invraisemblables et insolites, abstraits ou figuratifs, expressionnistes, baroques, surréalistes et romantiques. Je comprends mieux mon émotion de la veille. Devant moi, l’ensemble du tableau dévoile une image familière, comme ci celle ci avait toujours existée, à la fois très intime et complètement universelle. Je pense au film La grotte des rêves perdus  que Herzog a réalisé sur la grotte de Chauvet dans l’Ardèche, je comprends alors que je suis à Pech Merle dans la grotte des rêves trouvés ; De mon rêve matérialisé. Nous laissons dernière nous cette image désormais imprimée sur la pellicule, nous continuons à avancer pour construire le deuxième tableau. Cette fois, il y a moins de perspective, la chambre photographique est toute contre la paroi humide. Le point de vue est un contre-jour qui découpe trois grosses stalagmites, le personnage s’aligne dans la diagonale et dans la continuité de ces formes noires. En fond, une voute colorée me fait penser par sa teinte et sa matière à un tableau de Sigmar Polke. Jean Louis cadre, Jean Luc pose, je suis coincée en arrière dans une sorte de petit couloir, au dessus de ma tête une énorme pierre de couleur bleue grise. Je vois comme la pointe d’un menhir, avec au dessus un ciel étoilé. Je trouve amusant de rencontrer ce type d’image dans la grotte, sous terre ; un ciel, des galaxies. Je décide de faire une photo de cette vision. Le temps de pose est long, l’endroit est dans une quasi obscurité. Quand l’image apparaît à l’écran de la caméra, je ne la comprend pas, la voute où j’imaginais les cieux révèle des traits gravés dans la pierre, des lignes courbes de gauche à droite et de haut en bas se dessinent au dessus de mon menhir. Jean Luc m’explique que les hommes de Cro-Magnon sont montés sur ce rocher et ont dessiné sur le plafond ces hiéroglyphes incongrus dans lesquels sont juxtaposés les dessins simplistes d’un mammouth, de silhouettes feminines et d’un sexe masculin. Les étoiles de mon imagination sont les traces des premiers hommes sur la terre. Je n’arrive plus à comprendre ni à appréhender le temps, je n’arrive pas à calculer les années qui me séparent de ces traces, elles sont si fraiches que j’ai l’impression que je vais voir le personnage apparaître dans mon cadre. Je tourne autour du rocher, chaque point de vue me ramène à l’univers. J’ai l’impression de réaliser des images illustrant le livre du petit prince de Saint Exupéry. A Pech merle, il semble que les rêves et les histoires se figurent et se dévoilent devant qui veut bien les voir. Nous parcourons les allées en béton, empruntons des escaliers, suivons les rampes métalliques qui nous acheminent au travers de la grotte, Je suis comme dans un décor de cinéma, une sorte de ville où la fonction n’est pas d’habiter mais de circuler, de déambuler, de flâner. Nous nous arrêtons devant chaque lieu repéré la veille, à chaque fois, nous installons Jean Luc ; A Man in space, mais quel espace ? Nous avançons toujours plus loin, éteignant à chaque fois les lumières derrière nous et allumant devant nous de nouveaux accès. Nous entrons dans la salle de la racine du chêne qui a perforé la roche calcaire pour trouver l’humidité nécessaire à sa croissance. Nous passons par dessus la rambarde métallique, je décide avec jean louis de réaliser quelques photos au flash, à mon grand étonnement, les images que je fais me sont extrêmement familières, je suis dans la grotte de Donant à Belle ile, mais à la place de l’horizon de la mer, il y a l’horizon de la nuit éternelle de la caverne. Je prends du recul pour élargir le point de vue, je bascule alors dans un large trou. Jean Luc me dit qu’il s’agit d’un trou d’ours, un peu plus loin, contre la roche, des ossements de félin ; son festin, sur la pierre plus haut ; les traces de ses griffes, énormes. La grotte est habitée, habitée des hommes, des animaux, de végétaux (la racine), de matière, habitée de temps et d’espace, de sculptures et de peintures, de dessins, d’architectures, habitée d’art et d’histoire. En arrivant vers la sortie, un chemin en béton se dessine au sol, il semble que pour emprunter ce chemin il faille se courber presque jusqu’au sol tellement les pierres de droite et de gauche enferment ce passage. Au bout du chemin, du noir dense, épais. La grotte continue encore sur quelques kilomètres, cette partie n’est pas autorisée à la visite, elle restera donc dans l’obscurité. Je fais une photo ; un chemin vers un univers inconnu, infranchissable, un passage vers l’imaginaire. Cette image finale résume ma rencontre avec la grotte de Pech Merle, elle devient l’image de mon aventure dans le ventre de la terre, de mon expérience spatiotemporelle. Pech Merle a changé ma relation avec la photographie, dans ce décor multiple, riche et dense, l’image ne ce construit pas uniquement avec ce que l’on voit, elle s’imagine. Elle se forme en plans successifs, entre les volumes, dans les interstices des éléments, dans leur matière, la photographie se pense et se conçoit sans gravité, dans une tridimensionnalité presque infinie. Un espace s’est construit entre moi et le monde, dans cette épaisseur, un air de fraicheur, un sentiment de liberté, un affranchissement des règles en sorte, Photographe, je suis devenu peintre, peintre j’ai du penser l’architecture et le volume. Mes photographies de la grotte de Pech Merle sont des tableaux, petits formats précieux pour certains, grands et symboliques pour d’autres. Les grottes sont des lieux imaginaires puissants, les artistes de la préhistoire y ont été inspirés, leurs œuvres témoignent de cette relation particulière et mystérieuse. Dans le fond des cavernes, à la lumière faible et dansante des torches, les mammouths se forment et se prolongent dans le relief d’un rocher, les lions grognent, les chevaux galopent, certains dotés de six jambes décrivent le mouvement de leur course. Certaines images apparaissent comme animées. Les peintures des premiers hommes sur la terre dans ces espaces fantastiques et fantasmagoriques ouvrent grand la porte aux histoires ; à celles du passé, à celles d’aujourd’hui et à celles que nous imaginons pour demain. La grotte ornée de Pech merle est une invitation au voyage.

 Isabelle Arthuis, Le 28 et le 29 novembre 2012