MATHEMATIQUES
Rennes – T.N.B – FRAC Bretagne 2001
Exposition d' Isabelle Arthuis & Erwan Mahéo
TOP GENERIQUE
La galerie du TNB n’accueillera plus les expositions du Frac-Bretagne. « Mathématiques » est donc une dernière. Sauf pour Isabelle Arthuis et Erwan Mahéo qui l’ont conçue en contrepoint comme l’exposition-programme de leurs travaux en cours. Somme jubilatoire de projets, « Mathématiques » déroule dans un désordre savant et proliférant des extraits de films, des séries disparates de photographies, des fragments de textes. Et la liste des noms impliqués dans ce maelström. Cela se voit en partie comme un pied de nez lancé aux exigences administratives de projets bien ficelés sur papier, ou comme une tentation vers le mouvement quand il invente ses propres formes d’organisation. TOP GENERIQUE.
Isabelle Arthuis et Erwan Mahéo n’ont pas forcément trusté les premières places dans leur propre exposition tant ils ont privilégié les collaborations avec d’autres artistes. Place est faite par exemple à Jacques Lizène qui commente sa collection virtuelle dans une vidéo : maître en analogie, l’artiste belge passe en revue l’histoire de l’art en sautant les époques. Sa maîtrise du trou de mémoire, de la digression et de l’analogie touche au but : brasser des noms et des images au risque de rapprochements aussi incongrus que stimulants. Sérieux s’abstenir. La leçon encore en cour de tournage trouvera sa place définitive dans un CD-Rom, avec des images de Liège et les « musiques génétiques », ces petits chants écrits dans les années 1970 et remixés pour l’occasion. À Venise cette année, Lizène montrait d’ailleurs un « Best-off » des films datant de cette époque, à l’invitation du carator Laurent Jacob, signe de l’attention grandissante accordée par les jeunes artistes à un artiste sous estimé. La collection Lizène s’inscrit idéalement dans « Mathématiques » qui érige en méthode les croisements de personnes, de pratiques, et de moments. Erwan Mahéo recycle ainsi une exposition à laquelle il a participé en en dessinant le plan, légendé seulement avec le titre des pièces. Il inverse les époques et les lieux ou les fait se télescoper. Le plan est fait a postériori, et se destine absurdement aux visiteurs de « Mathématiques ». Même collision organisée dans les maquettes qui superposent en volume le plan d’exposition passé ou projetée. Contre Descartes, Alejo Carpentier défendait le « Recours à la méthode » comme une manière d’agir et de penser à rebours de la logique. De même, Isabelle Arthuis préfère « faire son film à l’envers », soit laisser le scénario advenir des images tournées aléatoirement avec les comédiens ou laisser le montage se faire en fonction de la musique que certaines séquences auront inspiré à un percussionniste... Inutile en fait de juger du film. On a seulement accès à quelques rushes, ou à des photos. Leur accrochage tend à donner une idée de ce qui sous-tend le film : une libre circulation entre les images selon leur motif, leur angle, leur netteté. L’exposition est alors érigée comme une étape de construction de l’objet fini, qui n’apparaît pour l’heure que fragmentaire. À cet état fragmentaire de l’objet correspond paradoxalement un mode de création continue, qui inclut les pratiques les plus diverses, les rencontres les plusfortuites, les réseaux les plus proliférant... au risque calculé d’un fétichisme très tendance du projet tel qu’en parle Luc Boltanski et Eve Chiapello : « le projet est l’occasion et le prétexte de la connexion. Celui-ci rassemble temporairement des personnes très disparates, et se présente comme un bout de réseau fortement activé pendant une période relativement courte, mais qui permet de forger des liens plus durables qui seront ensuite mis en sommeil tout en restant disponibles ». L’unité de temps et de lieu de « Mathématiques » est en fait constituée par le séjour d’Isabelle Arthuis et d’Erwan Maheo en Belgique. L’exposition est alors aussi un journal de bord conjugué au futur antérieur.
Judicaël Lavrador
paru dans 02 – septembre 2001